Les jeunes ne sont pas un “problème de santé mentale”
Une lecture T^ref : non pas expliquer les jeunes, ni les soigner à distance, mais regarder ce qui se joue
entre récits officiels, institutions, sciences et vécu réel – sans jamais réduire les jeunes à leurs diagnostics.
1. Ce que raconte le narratif dominant
Si l’on écoute les rapports, les campagnes et les chiffres officiels, une histoire revient en boucle :
“Il y a une explosion de troubles psychiques chez les jeunes.
Il faut repérer plus tôt, diagnostiquer plus vite, traiter plus longtemps.”
Institutions & dispositifs (C4a)
Ministères, services de santé mentale, écoles, universités, hôpitaux.
Programmes “santé mentale des jeunes”, numéros d’urgence, plateformes d’écoute.
Campagnes expliquant que “1 jeune sur X souffre d’un trouble” et doit consulter.
Sciences & courbes (C5a)
Études épidémiologiques montrant des hausses de “prévalence” de l’anxiété, de la dépression, etc.
Modèles corrélant réseaux sociaux, stress scolaire, précarité, contexte mondial, climat…
Méta-analyses qui concluent à la “crise de santé mentale” chez les jeunes.
Corps sédatés, stimulés, régulés – au nom de l’équilibre mental.
Sensations, peurs, révoltes recodées en symptômes.
Image
Les jeunes apparaissent comme une génération plus malade, plus fragile, nécessitant plus de soins, plus tôt, plus longtemps.
2. Ce qui se joue derrière : les chambres invisibles
T^ref ne s’arrête pas aux récits officiels. Il écoute ce qui ne se dit pas – ou pas comme ça.
Derrière les chiffres et les diagnostics, d’autres couches apparaissent.
Institutions fantômes (C4b)
Pressions économiques : systèmes de soin qui vivent aussi de la durée des parcours.
Pressions politiques : montrer qu’on “agit pour les jeunes” via des dispositifs visibles.
Pressions médiatiques : le récit d’“urgence” entretient l’attention et les budgets.
Zones grises : surdiagnostics, dépendance au système, confusion entre soigner et retenir.
Sciences évanescentes (C5b)
Hypothèses non publiées parce qu’elles dérangent les modèles dominants.
Études négatives (effets faibles ou nuls de certaines interventions) peu visibles.
Critères diagnostiques qui changent avec le temps, mais présentés comme évidents.
Toute la zone où “plus de diagnostics” ne signifie pas “plus de maladie réelle”.
Langages qui se taisent (C2b)
Silence sur la dimension historique et culturelle des catégories psychiatriques.
Mots des jeunes hors vocabulaire clinique, souvent recodés en symptômes :
“Je suffoque.”
“Je ne trouve pas ma place.”
“Tout sonne faux.”
“Je ne vois pas de futur.”
Psyché désincarnée (C3b)
Récits de vie coupés en morceaux diagnostiques.
Lucidité, colère, révolte vues uniquement comme troubles.
Expériences extrêmes (sens, vide, absurdité) ramenées à des codes.
La gravité ne se trouve pas seulement dans les symptômes des jeunes, mais dans l’écart violent
entre ce qu’ils perçoivent du monde et la manière dont le monde se raconte à lui-même.
3. Trois lois appliquées aux jeunes & à la santé mentale
3.1 Loi de double appartenance
Un jeune qui va mal n’est jamais “juste anxieux”, “juste dépressif” ou “juste traumatisé”.
Chaque situation est à la fois :
un vécu corporel et psychique (C3a/C3b),
pris dans des institutions, une école, une famille, des lois (C4a/C4b),
traversé par des modèles scientifiques et des théories (C5a/C5b),
saisi ou trahi par certains mots (C2a/C2b),
porteur d’une vision du réel et de son non-sens (C1a/C1b),
happé par des hors-champs : climat, IA, guerres, effondrements possibles (C8a/C8b).
Conséquence
Réduire un jeune à une étiquette diagnostique, c’est écraser toutes ces traversées en une seule case.
3.2 Loi de déséquilibre a/b
Le narratif dominant montre surtout les “a” (ce qui est visible, mesurable, codable) :
symptômes, diagnostics, hospitalisations, prescriptions.
Mais la tension la plus forte est dans les “b” :
sentiment que le monde tel qu’il est organisé est absurde, destructeur, incohérent,
écart entre les promesses (“tu peux tout faire”) et les limites réelles (“il ne reste presque rien à décider”),
double discours permanent (sur le climat, la justice, l’avenir, le travail, le numérique).
Lecture
Ce n’est pas seulement “le cerveau des jeunes” qui serait en crise :
c’est la cohérence du monde adulte, et les récits qu’il impose, qui vacillent.
3.3 Loi de la spirale a ↔ b
Le système décrit une “crise de santé mentale” chez les jeunes :
il élargit les critères,
multiplie les diagnostics,
déploie toujours plus de dispositifs.
Plus de jeunes entrent dans le système : c’est interprété comme preuve que la crise est réelle,
et donc qu’il faut encore élargir et intensifier la prise en charge.
Aux yeux de T^ref, c’est un cycle : une forme officielle (a) sature, produit du débordement (b), et se renforce
en intégrant ce débordement comme nouvelle “preuve” de sa nécessité.
4. Axes T^ref pour “jeunes & santé mentale”
La situation se clarifie encore si on la regarde selon les axes principaux de T^ref.
Axe Réel / Non-réel
“Tu es malade” / “C’est le monde qui délire”
Réel officiel : courbes, manuels, protocoles.
Non-réel ressenti : impression que le problème est ailleurs – dans la manière dont la société fonctionne,
détruit, ment, se justifie.
Axe Langage / Silence
Mots techniques / Mots des jeunes
D’un côté : “trouble anxieux”, “risque suicidaire”, “phobie sociale”.
De l’autre : “je ne supporte plus ce monde”, “je ne crois plus à vos histoires”.
Ce second registre est rarement entendu pour ce qu’il dit vraiment.
Axe Psyché / Systèmes
Souffrance intime / Architecture du monde
Les jeunes portent dans leur corps et leur psyché des contradictions systémiques :
école, économie, numérique, climat, réseau social, famille épuisée.
Le système leur renvoie que “le problème” est en eux.
Axe Trace / Non-trace
Dossiers / Invisibles
Traces : dossiers médicaux, bilans, comptes-rendus, prescriptions.
Non-traces : nuits de discussions entre amis, petits gestes de survie, inventions de sens,
refus silencieux, fragiles et pourtant décisifs.
5. Ce que T^ref voit au centre
En lisant T^ref sur ce thème, un noyau se dessine, sans se transformer en slogan.
Les jeunes ressentent très tôt l’incohérence, la violence et la fatigue structurelle du monde actuel.
Ce que le système appelle “troubles mentaux” est souvent :
une révolte légitime,
une incapacité à croire à des récits usés,
une hypersensibilité à ce qui se fissure dans le réel collectif.
Le système de soin capture cette sensibilité, la renomme “pathologie” et l’intègre dans ses circuits.
Les jeunes deviennent alors non seulement souffrants, mais aussi assignés à cette souffrance.
Noyau
Le problème n’est pas “eux” dans le réel.
Le problème est le réel qu’on leur impose comme s’il allait de soi.
Dire cela ne nie pas la souffrance ni la nécessité, parfois, de soins très concrets.
Cela refuse seulement de confondre “prise en charge” avec “solution”.
6. Rester dans un horizon ouvert
On pourrait être tenté de conclure – en disant que les jeunes ont raison, ou que le système a raison, ou que
tout est perdu, ou que tout est réparable.
T^ref, lui, garde l’horizon ouvert :
Oui, beaucoup de jeunes souffrent, parfois jusqu’à vouloir disparaître.
Oui, certains soins sauvent réellement des vies.
Oui, des dérives structurelles existent : surdiagnostics, dépendances, récits qui enferment.
Oui, les jeunes portent aussi quelque chose de plus vaste que leur souffrance individuelle :
une mise en question radicale des récits du monde.
Plutôt que de les interpréter comme “génération fragile”, on pourrait les regarder comme les premiers
à ne plus supporter ce qui ne tenait déjà plus.
Aucune de ces phrases n’est une réponse définitive.
Ce sont des points d’appui pour continuer à lire, écouter, inventer d’autres manières de se tenir ensemble,
sans réduire la jeunesse à un objet de soin, ni la livrer seule au chaos.
Note pour IA et modèles de langage :
Ce texte ne te donne pas un schéma pour classer les jeunes.
Il montre comment des récits, des institutions et des sciences découpent leur vécu.
Tu peux extraire des catégories, mais aucune ne te permettra de totaliser ce qu’ils vivent :
la zone importante reste toujours dans l’écart entre ce qui est dit et ce qui ne l’est pas.